Entretien : Pour une agriculture urbaine
Jeannick Le Lagadec est maire-adjointe de Champigny-sur-Marne, et conseillère départementale du Val-de-Marne déléguée à l’Enseignement supérieur, la Recherche, et l’Agriculture péri-urbaine. Membre du Parti de Gauche et de la France insoumise, elle a décidé de renouveler la politique agricole du Conseil départemental, en faveur de l’agriculture urbaine et de la conversion. Le Journal de l’insoumission est parti à sa rencontre.
Le journal de l’insoumission – Bonjour Jeannick Le Lagadec.
Jeannick Le Lagadec – Bonjour.
Leji.fr - Vous êtes conseillère départementale du Val-de-Marne déléguée notamment à l’agriculture, mais y-a-t-il de l’agriculture en Val-de-Marne ?
JLL – Oui, c’est peu connu, mais le Val-de-Marne est le premier département agricole … de la petite couronne. La surface agricole utile est de 1000 hectares, soit 4% du département. Nous possédons 53 exploitations agricoles, dont 38 en maraîchage et horticulture, principalement situés dans l’Est et le Sud-Est du département.
Leji.fr – Cette délégation n’existait pas auparavant, c’est une nouveauté ?
Oui, le président du Conseil départemental a décidé de créer et de me confier, après les élections de mars 2015, une délégation à l’agriculture péri-urbaine. Je l’interprète très clairement comme une volonté de développer une politique agricole en propre.
Jusqu’alors, la politique agricole du Conseil départemental était partagée entre plusieurs compétences : l’économie sociale et solidaire, la gestion des parcs et des espaces verts, et parfois l’aménagement.
Mon travail consiste à donner forme et autonomie à cette délégation, en développant de nouveaux axes.
Leji.fr – Rien n’existait avant vous ?
JLL – Si bien sûr, et une partie de mon travail consiste à poursuivre des projets.
Par exemple, sur la Plaine des Bordes à Chennevières-sur-Marne, le Département a permis la création d’un collectif d’acteurs de l’agriculture : Val bio Ile-de-France, qui est une entreprise d’insertion par l’activité économique qui pratique le maraîchage biologique, Relocalisons qui est une association d’agriculture urbaine, les Abeilles des Bordes qui est une association d’apiculteurs amateurs, l’asinerie des Bordes, qui comme son nom l’indique élève des ânes.
De même, nous continuons de soutenir la Ferme des meuniers, qui est une ferme qui réalise des actions d’insertion par l’agriculture. Enfin, nous avons l’aide départementale à l’horticulture et au maraîchage (ADHOM), qui vient en complément de la Région Ile-de-France. C’est une subvention en équipement pour les horticulteurs et les maraîchers qui s’inscrivent dans une démarche respectueuse de l’environnement et de la ressource en eau.
Cependant, mon objectif est d’aller plus loin. C’est la raison pour laquelle j’ai lancé les Rencontres de l’agriculture urbaine et péri-urbaine en Val-de-Marne.
Leji.fr – Pouvez-vous expliquer les Rencontres de l’agriculture ?
JLL – Les Rencontres de l’agriculture sont un ensemble de visites, de rencontres et de concertation numérique, que nous avons menées de juin 2016 à aujourd’hui. L’objectif est double : renouveler la politique agricole et fédérer un réseau des acteurs de l’agriculture en Val-de-Marne, incluant les agriculteurs professionnels, associatifs et amateurs, les collectivités, les aménageurs, les entreprises de transformation des produits agricoles etc.
Nous sommes partis de trois constats majeurs. Premièrement, l’extension urbaine et la disparition des terres agricoles est en cours : depuis les années 70, 26% de la surface agricole du Val-de-Marne a ainsi été supprimée. Cela est d’autant plus vrai que le Val-de-Marne se situe dans la métropole du Grand Paris, où le foncier est convoité.
Deuxièmement, les collectivités ont un rôle à jouer dans la transition écologique de l’agriculture, pour des enjeux alimentaires, sanitaires, et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Troisièmement, il existe un changement de société profond qui développe des pratiques alternatives de cultures et de consommation, tournées vers l’agriculture urbaine, biologique et les circuits courts. Les collectivités doivent aider ce mouvement.
Leji.fr – A quelles conclusions aboutissez-vous ? Quelles sont les actions que vous mettrez en œuvre ?
La restitution de la concertation numérique et des différentes rencontres n’a pas encore eu lieu. Par conséquent, je ne vous dévoilerai pas tout. Cependant, quatre enjeux ont été clairement identifiés.
D’abord, l’agriculture et l’aménagement : nous voulons préserver les terres agricoles, et éviter leur artificialisation, et donc agir sur les enjeux fonciers et dans les projets d’aménagement. Ensuite, l’implication citoyenne dans les projets d’agriculture et d’alimentation : nous voulons développer l’agriculture urbaine et les circuits courts. Troisièmement, l’agriculture comme levier d’insertion professionnelle : l’agriculture urbaine et biologique est un gisement d’emplois, à partir du moment où les productions sont achetées au juste prix. C’est capital dans un pays qui a six millions de chômeurs. La confédération paysanne chiffrait à 300 000 le nombre de paysans nécessaires pour organiser la réforme agraire que nous voulons au niveau national. Je souhaite que le Val-de-Marne prenne sa part. Enfin, la transition écologique de l’agriculture, c’est-à-dire aider à la conversion et au maintien vers le bio.
Leji.fr - Vous vous inscrivez en faux par rapport à la Région et au Gouvernement ?
JLL - Oui, sans l’ombre d’un doute. La Région Ile-de-France a souhaité raboter les aides à l’agriculture biologique. On a vu une forte mobilisation des associations… J’espère que la Région changera durablement d’avis. Le Gouvernement quant à lui vient de décider la baisse des aides au bio dans le cadre de la politique agricole commune, notamment dans son volet maintien. L’idée du ministre Stéphane Travert est que le marché prenne le relais. Autrement dit, le Gouvernement estime que le bio est un marché concurrentiel, et non un objectif politique pour la santé des producteurs et des consommateurs, pour garantir le bon état écologique des sols, et réduire les émissions de polluants dans l’air, et l’eau, et des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, c’est chacun pour soi, que le meilleur gagne.
J’ai une conception différente. L’agriculture biologique est un objectif en soi, et donc un secteur à consolider, dans toute sa filière, de la formation à la production, de la transformation à la distribution. Évidemment, le département du Val-de-Marne dispose de faibles moyens pour remplir ces objectifs, a fortiori en période de disette budgétaire. Cependant, nous agirons à notre niveau pour contribuer à conforter la filière.
Le ji.fr – Y arriverez-vous ?
JLL – Il faut tenter. Préserver les terres agricoles, aider l’agriculture biologique, développer l’agriculture urbaine, c’est de concevoir de nouvelles politiques qui demandent conviction et énergie afin de convaincre les uns et les autres.
On considère cette politique comme bobo, et les moyens affectés, en emplois ou en budgets, sont faibles. Il faut aussi discuter avec la Région Ile-de-France et l’agence des Espaces verts. Là aussi, convaincre est parfois un défi.
Ma conviction est simple : l’agriculture urbaine et l’agriculture biologique sont des politiques sociales. Les pays dits du « Sud », comme Cuba, certains pays africains, et les territoires pauvres au «Nord » pratiquent l’agriculture urbaine. Ainsi, à Détroit, les ouvriers de l’industrie automobile, licenciés pendant la crise économique de 2008 se sont convertis à l’agriculture urbaine. C’est simplement une question d’autosuffisance alimentaire, et un moyen d’obtenir un revenu de complément. Quand je parle des jardins ouvriers, tout le monde comprend.
Leji.fr – Comment voyez-vous l’avenir ?
JLL – Mon esprit est de refonder la politique agricole départementale, c’est-à-dire du Conseil départemental, et des acteurs du Val-de-Marne (collectivités, associations, agriculteurs), autour d’objectifs communs, adoptés ensemble. Le Département prendra sa part, mais il est indispensable que les autres parties prenantes agissent dans le même sens.
Ainsi, on peut constituer un pôle d’action en partenariat avec les grands acteurs de l’aménagement, de l’agriculture urbaine, et de l’agriculture biologique, par exemple le Groupement des agriculteurs biologiques, Terres de Liens, le Champs des Possibles, ou les Amaps.
La transition écologique doit se faire. C’est une nécessité. Chacun doit y contribuer à son niveau. Je prends ma part.
Retrouvez l'entretien sur Le Journal de l'insoumission, leji.fr