Enfin 2016 !
Enfin 2016 !
Ouf 2015, c’est fini. Plus que jamais, le moment est venu pour les Français de tourner la page de 2015.
Traditionnelles sont les cérémonies des vœux et autres cartes envoyées à nos proches, nos collègues, nos partenaires de travail, d’affaires. L’exercice auquel nombreux sont rompus revêt pourtant en cette année une dimension particulière. La France n’avait jamais connu aussi mauvaise année de son histoire depuis plusieurs décennies, si ce n’est depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Petit retour sur cette année 2015.
Une année noire, un peuple meurtri
L’année a commencé par les terribles attentats des 7 au 9 janvier contre Charlie Hebdo, une policière à Montrouge et l’attaque de l’Hyper Casher qui augurèrent une année noire pour la France. Ils se conclurent par la mort des terroristes. Une immense souffrance est depuis lors le quotidien des proches et des familles des victimes. L’émotion traversa également l’ensemble de la communauté nationale.
Les marches du 11 janvier, partout en France furent un merveilleux témoignage de la vitalité de notre peuple, de son attachement à la liberté et à la laïcité, et de son émotion face aux attentats. Ces marches, cet « esprit du 11 janvier » furent des marches cathartiques de tristesse, d’hommage et de deuil.
Et cependant, alors que de nouveaux attentats sur notre sol étaient ourdis en silence, des débats sans fin divisèrent également la nation, les politiques et les intellectuels, pour savoir qui était et qui n’était pas Charlie, ce qui d’une certaine manière disait la fracture de la société française et de ses élites, malgré le moment d’union que nous avions connu.
Les attaques se sont multipliées et elles ne furent malheureusement pas toutes déjouées par nos forces de police, nos services de renseignement, ou parfois de simples citoyens : dans l’usine Air Products à Saint-Quentin-Fallavier (Isère), à l’église de Villejuif ou dans le Thalys. Il y eut encore des victimes comme Aurélie Châtelain, tuée par celui qui devait commettre l’attentat de l’église de Villejuif.
Le 13 novembre, un commando de terroristes missionnés par l’Etat islamique commirent les pires attentats que la France ait connus. Les cibles, chacun s’en rappelle, étaient de simples personnes, souvent jeunes, attablées aux terrasses de café, assistant au concert de The Eagles of the Death Metal, passant à côté du Stade de France. Et la localisation n’est probablement pas due au hasard : dans le 11è arrondissement, à proximité de la place de la République, cet arrondissement qui vit les attentats de Charlie Hebdo, cette place qui fut le lieu de la grande marche qui restera dans l’Histoire de France et du monde.
Ça aurait pu être moi. J’aurais pu être l’une des 130 victimes des attentats du 13 novembre. Tout à chacun s’est dit cela.
Alors que le Kenya, la Tunisie, le Pakistan, l’Irak, le Liban, la Turquie connurent très récemment des attentats à la bombe ou des attaques à l’arme lourde d’une ampleur similaire, ce fut la première fois que cela arrivait en France. Les Français comprirent alors qu’ils entraient dans l’ère du meurtre de masse, l’ère où les crimes sont indéterminés quant à leurs cibles.
Le 13 novembre, il n’y avait plus de débat pour savoir qui était Charlie et qui ne l’était pas. Il ne pouvait pas y en avoir. Le 13 novembre il y eut d’abord, l’effroi, la tristesse, l’émotion, l’incompréhension. Puis il y eut l’état d’urgence.
La politique libérale-sécuritaire s’accentue
L’année 2015 a aussi été marquée par le tournant libéral du Gouvernement prit un tournant libéral sur le plan économique et restrictif en matière de libertés franchement assumé.
Après les attentats, les comités inter-ministériels s’égrenaient sur la nécessité de vivre-ensemble, de régler le problème des banlieues minées par un « apartheid social, ethnique et territorial » selon les mots du premier Ministre, sur l’impérieuse nécessité d’agir contre tous les racismes, et en particulier contre l’antisémitisme qui a resurgi et contre l’islamophobie qui se répand dans notre société.
Pourtant, la réponse du Gouvernement ne fut pas sociale, ne fut pas économique, ne fut pas territoriale. Elle fut sécuritaire. Déjà, la énième loi de lutte contre le terrorisme avait été promulguée, ironie du destin, le 13 novembre 2014. Le 24 juillet 2015, fut promulguée la loi sur le renseignement, entrée en vigueur en octobre. Alors que le plan vigipirate était à son faîte, le Gouvernement décida de l’état d’urgence au soir du 13 novembre 2015, ce que nul ne pouvait contester au regard de la situation. Mais par contre, celui-ci fut reconduit pour trois mois, sans évaluation de son impact, de ses résultats, et ce malgré les interdictions de manifester, malgré les perquisitions, les arrestations et les perquisitions de militants écologistes à l’approche de la COP 21, et malgré les dérives de l’état d’urgence, à l’encontre notamment des Français de confession musulmane. Pire, le Gouvernement veut forcer la main à sa majorité parlementaire pour faire passer une révision de la Constitution dans laquelle seraient inscrits l’état d’urgence, qui bénéficierait ainsi d’une protection constitutionnelle contre celles et ceux qui en dénoncent les effets délétères, et la déchéance de nationalité pour les binationaux nés français. Le Gouvernement d’une part fracture la gauche avec sa proposition de déchéance de nationalité, qui créée deux catégories de citoyens. D’autre part, cette proposition est une mesure inefficace voire contre-productive dans la lutte anti-terroriste.
Sur le plan économique, le Gouvernement continua son offensive libérale : mise en œuvre de la loi Macron, et du Pacte de responsabilité - 50 milliards d’euros financés par nos impôts et la réduction des dépenses publiques distribués aux entreprises pour qu’elles améliorent leurs marges, exportent plus et emploient à nouveau - l’adoption de la loi sur le dialogue social, et enfin les annonces sur la future loi refondant le code du travail. Toutes ces mesures ont un seul but : réduire le coût du travail en France, en permettant de licencier facilement, en déréglementant certaines professions et certains secteurs économiques pour y favoriser la concurrence, en faisant travailler le dimanche, en réduisant la force des syndicats dans les instances d’entreprise et devant les prud’hommes. Le résultat n’est pas au rendez-vous : le marché du travail est de plus en plus libéralisé, les embauches sont souvent pour des contrats précaires, mais le chômage ne baisse pas.
La seule conséquence visible est la précarisation des travailleurs : des salariés qui gagnent de moins en moins, qui sont toujours moins protégés, des fonctionnaires dont les salaires n’évoluent plus, des séniors et des jeunes grandes victimes du chômage et de la précarité, le développement du travail indépendant (auto-entrepreneur), de l’emploi d’appoint (par des prestations de service sur les plateformes de l’économie collaborative comme Uber, Airbnb et autres etc…), ou des contrats à temps partiel. Par ailleurs, les femmes sont les plus touchées par cette précarisation de l’emploi.
Pour le côté face, cette précarisation s’est accompagnée d’une violence sociale accrue : la criminalisation du mouvement social est à l’œuvre, les salariés défendant leur outil de travail sont montrés du doigt, et comme récemment à Goodyear sont condamnés.
Le Gouvernement (ainsi que l’Allemagne et la Commission européenne) se refusant à toute relance économique de grande ampleur fondée sur certains secteurs - la transition énergétique, l’économie de la mer, le numérique sur tout le territoire – il est tout à fait logique que l’économie ne se relance pas, et que le chômage ne diminue pas.
Le tournant environnementaliste : le mirage de la croissance verte
L’année 2015 fut aussi l’année de l’écologie. Il est indéniable que la loi sur la biodiversité, la loi sur la transition énergétique et l’Accord de Paris sur la Climat à la COP 21 le 12 novembre sont des réussites à des degrés divers toutefois.
Mais attention aux « trompe l’œil » ! La loi sur la transition énergétique conforte le modèle économique de la croissance verte, c’est à dire du productivisme orienté vers les énergies renouvelables. L’Accord de Paris ne remet pas en cause l’origine du changement climatique et des émissions de gaz à effet de serre. Il est pourtant avéré que la croissance se fonde sur l’extraction de matières premières (hydrocarbures, minerais, terres rares, uranium, forêts) à une intensité telle que toutes ces ressources seront épuisées ou presque d’ici la fin du XXIè siècle. Il est pourtant avéré que la croissance telle qu’elle est aujourd’hui génère des inégalités économiques et sociales de développement grandissantes entre pays du Nord et du Sud et entre une élite de 1% les plus riches et le reste de la population mondiale.
On le voit, il nous faut une réelle bifurcation écologique qui se fonde sur plusieurs éléments indispensables, de chantiers à investir en 2016 :
- Des instruments de prévision et de planification écologique
- Le concours financier massif de la puissance publique pour réaliser les investissements nécessaires
- Réaliser progressivement la décroissance des activités les plus nuisibles à l’environnement
- Engager une transition qui se donne pour objectif la sobriété et l’efficacité énergétique, le développement des renouvelables
- Relocaliser l’économie de la production à la consommation en passant par le commerce
- Produire et manger bio et local le plus possible
- Sortir progressivement de l’énergie nucléaire, dangereuse, chère, et dont les ressources (l’uranium) s’épuisent elles aussi
- Remettre en cause la société de consommation et notamment l’influence de la publicité
- Revenir à une conception d’un territoire aménagé, où les activités productives, de loisirs et de logement ne sont pas dispersées
Les pistes sont encore nombreuses, mais je ne ferai pas de liste à la Prévert pour égrener tout ce que nous devons encore faire.
L’échec de l’Europe face aux réfugiés
La guerre en Syrie couplée à l’émergence et la consolidation territoriale de l’organisation « Etat islamique » a conduit aux plus grands déplacements de populations depuis la Seconde Guerre mondiale.
Des centaines de milliers de Syriens, d’Irakiens mais aussi d’Erythréens et d’Afghans fuyant la dictature et une situation politique déplorable quittent leur pays et cherchent à rejoindre l’Europe, qu’ils estiment être une terre où ils pourront vivre en paix et où ils pourront trouver du travail, simplement de quoi vivre.
Il faut bien rappeler que l’essentiel des réfugiés vont d’abord et avant tout dans trois pays : le Liban (1,4 millions de réfugiés, 209 réfugiés pour 1 000 habitants), la Turquie, la Jordanie et l’Ethiopie. Les déplacements de population se comptent en plusieurs millions de personnes. Au regard de la démographie de ces pays, c’est incomparable avec le million de migrants venus dans l’Union européenne en 2015.
Il faut aussi rappeler que la Mer Méditerranée devient un cimetière à ciel ouvert : 3000 réfugiés sont morts noyés en 2014, 3700 sont morts en 2015.
L’Allemagne a accueilli 1,1 millions de demandeurs d’asile dont de nombreux réfugiés (428 000 syriens), pour des raisons à la fois morales, mais aussi économiques et démographiques (l’Allemagne fait face à une baisse inquiétante de sa population). La France prévoit d’accueillir 24 000 réfugiés de Syrie et d’Irak sur deux ans, ce qui est sans commune mesure.
Le Conseil européen n’a pu convaincre que très difficilement les pays d’accueillir des quotas de réfugiés. De nombreux pays de l’Est ont fermé leurs frontières, refusant tout bonnement de donner l’asile aux réfugiés. La Commission européenne ne parvient pas à mettre en œuvre ses centres d’enregistrement (dits « hot spots ») en Italie et en Grèce principalement, principaux pays européens où les migrants arrivent en premier. Dans le même temps, ces pays, sont accusés de ne pas mettre en œuvre les mesures nécessaires d’asile et de contrôle des frontières, alors même qu’ils sont victimes de la crise et de l’austérité imposée par la Commission européenne.
L’échec des pays européens et de la Commission européenne est un échec moral : très peu sont ceux qui veulent accueillir les réfugiés, arguant de risques pour l’emploi et pour la sécurité nationale de ces pays. Ces mêmes pays, souvent dirigés par des partis conservateurs revendiquent pourtant fièrement les racines et les valeurs chrétiennes de l’Europe.
Nous observons alors les morts s’accumuler aux frontières de l’Europe, des camps insalubres se développer, des actes anti-musulmans et anti-réfugiés prospérer sans rien faire.
C’est aussi un échec politique pour l’Union européenne : la preuve et de son inefficacité et de l’impasse économique et humaine vers laquelle elle poussent les nations qui la composent.
La poussée de l’autre gauche en Europe
Mais un vent d’optimisme souffla un temps, car l’année 2015 commença aussi et malgré tout avec un réel espoir sur le front européen: l’arrivée au pouvoir de Syriza en Grèce et d’Alexis Tsipras comme Premier ministre, porteurs d’une dynamique de refus de l’austérité et des souffrances inutiles infligées au peuple grec. Malheureusement, faute de soutien européen (notamment de la France et de l’Italie) et face à l’énorme pression politique conjuguée de l’Allemagne, de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international, Alexis Tsipras a dû se plier aux exigences d’Angela Merkel et de son ministre des finances Wolfgang Schaüble, et accepter un memorandum qui ne lui laisse aucune marge de manœuvre politique.
Dans le même temps, l’ascension en Espagne de Podemos, parti qui a vécu des soubresauts cette année, notamment en raison de l’échec de Syriza face ses créanciers, s’est achevée sur des résultats très encourageants. Podemos est devenu la troisième force politique de la péninsule ibérique aux élections législatives après avoir conquis cette année les villes de Madrid et Barcelone dans le cadre de plates-formes de gauche regroupant d’autres partis et associations. Le parti de Pablo Iglesias fit ainsi voler en éclat le bipartisme issu de la transition démocratique post-Franco.
De même, la gauche radicale au Portugal s’est alliée au Parti socialiste, une première depuis la révolution des œillets pour mettre fin à des années d’austérité.
L’autre gauche française qui ne trouve pas le peuple
Malgré ces espoirs, les échecs se succèdent pour l’autre gauche. Les élections départementales et régionales ont globalement été infructueuses. La vie politique se polarise autour d’un tripartisme et tous les regards se tournent vers le Front national, qui engrange les voix et catalyse les aspirations populaires de nos jours.
Le Front de Gauche a échoué : il n’est pas parvenu à être un véritable mouvement politique au-delà des appartenances partisanes. Il est resté un cartel électoral illisible, où chacun des partis élabore sa propre stratégie, ses propres messages, ses propres alliances. Cela a abouti à rendre inaudible notre message politique.
Lorsque l’on analyse les réussites de la gauche radicale en Europe, plusieurs tendances se dessinent qu’il nous faudrait méditer : une opposition constante aux politiques d’austérité et à leurs instigateurs, un refus d’alliance avec les partis socio-démocrates notamment ceux qui mettent en œuvrent les politiques d’austérité, une pensée critique sur la construction européenne, une prise d’appui sur les mouvements sociaux qui traversent la société, l’émergence de nouvelles personnes et un renouvellement des pratiques politiques vers plus d’ouverture en dehors des organisations partisanes traditionnelles, la capacité à créer l’espoir d’un changement politique majeur.
En France, les forces de l’autre gauche se cherchent et n’ont pas encore trouvé leur voie. Certes, la France n’a pas connu de crise sociale telle que la Grèce et l’Espagne en ont connu. Certes le mouvement des Indignés n’a pas pris son essor (en raison notamment de la focalisation politique sur l’élection présidentielle et de la cristallisation populaire autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon). Pourtant, j’observe que la vie associative reste vigoureuse, que des collectifs citoyens émergent dans de nombreuses communes et départements, que l’abstention monte à des niveaux records symbolisant un rejet de la classe politique dans son ensemble. Aujourd’hui, face à cette insurrection froide, il devient nécessaire d’être à l’écoute de tout ce qui fourmille au sein de notre société, de tout ce qui éclot ici et là sans bruit, à l’écoute de la colère de celles et ceux qui veulent ardemment qu’on entende leurs revendications et leur volonté d’une vie meilleure.
Pour cette année 2016, je voudrais donc vous souhaiter mes vœux de bonheur, mais je souhaiterais avant tout prodiguer un conseil pour celles et ceux dont le progrès écologique et social est un principe de vie : soyons plus proche, plus à l’écoute des citoyens, parcourons les territoires et inspirons-nous de tout ce qui émerge aujourd’hui pour construire un avenir meilleur.